La mort de Lalouche n'aurait pas dû faire de vague. Elle ne méritait même pas quelques lignes dans les faits divers. Rien de plus que le décès de cet autre compositeur, Jacques Ibert, en février dernier. Mais dans le monde de la musique, elle n'est pas passé inaperçue et a réveillé une vielle superstition, une malédiction.
En effet, souvenez-vous. A côté du corps de Lalouche, a été retrouvé une partition. Les fragments d'une composition qui fera parler d'elle. La partition est complexe, savante, aux proportions vastes. Lalouche était reconnu pour ses neufs premières symphonies mais n'avait pour autant jamais réellement suscité l'admiration. Il n'avait pas su. Mais que dire des bribes de cette dixième ? Un chef d'œuvre. C'était étonnant, d'autant qu'on reconnaît l'influence de Ludwig van Beethoven et qu'il ne s'était jusque-là jamais aventuré à ce genre d’essai grandiose dans ces autres compositions. Dans la musique symphonique, personne n'ose vraiment en parler mais tout le monde se demande pourquoi, Lalouche avait décidé de composer sa Dixième symphonie en adaptant au premier thème le célèbre Ode à la joie en mi bémol majeur. S'agissait-il d'un pied de nez ? Que cherchait-il à prouver ? La question devint finalement inévitable et bien trop croustillante pour les journalistes qui s’emparèrent du dossier aussitôt la première représentation faite. « C'est avec émotion que nous avons pu assister à la représentation de l'assemblage des fragments de la dernière composition de M. Lalouche, œuvre sans conteste grandiose, même si ne figure que le premier mouvement, on retrouve la nervosité que peuvent revêtir les rythmes pointés de Haendel parfaitement intégrée au style beethovénien. Même si le mouvement n'a rien d'innovateur, il émerveille le monde symphonique déployant pas moins de 647 mesures. C'est sans équivoque, cette symphonie était prometteuse mais il semble que personne ne puisse la finir. En effet, même si la malédiction de la neuvième symphonie n'est que superstition, il semble malgré tout que cette dixième symphonie restera encore une fois inachevée. Pierre Bouteille, reporter sur Europe n°1 » C'est ridicule ! Certes il y a la hauteur, la durée, le timbre... l'intensité mais il manque la partie cuivre, sensé marteler la tonique en Ré ! Parfaitement ridicule. Ridicule... mais tout le monde s’emballe ! S'émerveille. Se fascine de cette dixième symphonie qui aurait sans aucun doute été la plus belles œuvres de Lalouche s'il l'avait terminé, la plus belle œuvre de Lalouche... s'il l'avait composé ! Parce que la France entière le sait maintenant. Il n'en est rien. « Europe n°1 s'excuse de ne pouvoir vous présenter le programme habituel mais nous venons d'apprendre le décès de M. Pierre Bouteille. Nous apportons tout notre soutien à ses proches et leur présentons nos sincères condoléances. Pierre a été arraché à la vie de manière brutale mais nous ne connaissons pas encore les réelles circonstances de sa mort. Merci de comprendre les quelques minutes de silences qui suivront en son hommage. »
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L'histoire commence par des faits banals au possible.
Octobre 1962. Cette année là, La guerre des boutons a obtenu le Prix Jean-Vigo et on se remue sur le Twist de Chubby Checker. Dalida chante le jour le plus long et Françoise Hardy connaît le succès avec tous les garçons et les filles de son âge, extrait de son premier album. Les Beatles viennent de sortir leur premier 45 tours : Love Me Do et P.S I Love You et le compositeur Lalouche est retrouvé mort. Qui se rappellerait de ce compositeur si les faits n'avaient pas pris ce tournant macabre ? A quoi tiennent la vie et la mort ? Le succès et l'anonymat ? A si peu parfois. |