Si l’on résume la pensée de Couteau, reprise par le Commandant Manique, Lalouche aurait été touché par la grâce divine et serait soudainement devenu un compositeur d’une sensibilité et d’une virtuosité sans mesure.
Sa mort serait en réalité un assassinat, maquillé consciencieusement en accident, afin de lui dérober son oeuvre. L’assassin, qui aurait donc tué Lalouche pour ces partitions, serait toute fois parti en en laissant un morceau sur place puis aurait tenté de vendre son histoire à Bouteille. Bouteille l’aurait démasqué et en aurait payé le prix de sa vie. C’est grossier. Comment est-ce que je pouvais laisser passer ça ? Je veux dire… sérieusement ? Vous ? Vous avez cru à cette histoire ? J’étais en ébullition. Non seulement l’incohérence de ces conclusions m’était insupportable mais surtout, le sens réel de tout ça leur échappait complètement ! Vendredi 9 novembre 1962. Les Etats-Unis viennent d’annoncer l’arrêt de leurs essais nucléaires dans l’atmosphère, suivi par l’ONU qui se prononce en faveur de l’arrêt de tous les essais nucléaires, Nelson Mandela coupable d’incitation à la révolte, est condamné à cinq ans de prison et la France apprend l’existence d’un troisième mouvement à la grandiose et désormais célèbre “dixième symphonie”. C’était fantastique. La nouvelle se répand plus vite que la grippe. L’enthousiasme est général, même si certains ne peuvent s’empêcher de rappeler qu’une fois encore, la dixième symphonie a fait couler le sang... En effet, le troisième mouvement est retrouvé à côté du corps du commandant Manique tandis que les parties orgues se trouvaient près du cadavre encore chaud d’Alain Couteau. Les deux hommes ont trouvé la mort dans la nuit du 8 novembre. Un violent coup porté à la tête a assommé le commandant. Il a ensuite vu son arme de service se retourner contre lui, impuissant, maintenu par ses propres menottes à un lampadaire, le corps criblé de balle. Quant à Alain Couteau, il a été étranglé. L’arme du crime, retrouvée encore entortillée sur la victime, provenait de la contrebasse de Couteau. Le rapprochement avec les circonstances de la mort de Bouteille n’était plus à faire. Mais est-ce vraiment la peine de le relever ? Ce n’est pas important. Pourquoi y revenir, encore et encore ? Pourquoi retenir la violence et l'inhumanité des crimes que l’oeuvre engendre ? Non. Qu’en est-il de sa beauté, du romantisme et de la joie qu'elle raconte ? Les partitions, la symphonie, ce troisième mouvement ! C’est ça l’essentiel. La beauté de l’art. L’amour de la musique. La France à l’unisson, accordée sur une même passion, s’exaltant pour le classique, pour le symphonique. Oui. Ça c’est fondamental. Crucial. Pourtant, la situation fait rapidement naître un véritable paradoxe. La bienséance, le politiquement correcte ou le sentiment de culpabilité oblige à le taire mais je sais que tous, attendait impatiemment ces partitions. Et même si, par gêne et par “respect des victimes”, la représentation des nouveaux fragments n’a pas été donné, je sais. Je suis certain qu’elle circulait discrètement de foyer en foyer. Mais en surface, les gros titres ne tardent plus. Aucun doute, la mort des quatre hommes est liée : “Le tueur de la 10ème symphonie : un tueur en série.” Puis la malédiction de la neuvième symphonie réintègre les esprits mais son fondement est remis en questions. Si Lalouche n’en est pas le compositeur, s’agit-il vraiment d’une dixième symphonie ? Tout s’est enchaîné très vite mais deux mois d’actualités consacrés à un seul fait divers tient de l’exploit. Malgré la fin sinistre connue par ceux qui ont communiqués sur l’affaire, certains quotidiens se risque à dresser le profil de l’assassin. “[...] un grand criminel, calculateur. Différents scénarios sont envisageables mais la préméditation de ses actes est certaine. [...] conduit par son ego démesuré et intarissable [...]”. L’investigation suit son cours, mais à partir de là, on apprendra plus jamais rien de nouveau. Quelques articles ça et là rappellent régulièrement la haine et la folie déployée dans ces crimes et certaines radios se cachent derrière un hommage aux victimes pour diffuser la symphonie, maintenant presque complète, rappelant son art, sa magie, sa sensibilité et les émotions qu’elle suscite.
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